Photographe, scénariste et écrivain

Né en 1966 en Allemagne où il a passé seulement quelques mois, Philippe Yvon a

grandi dans le Var, à Toulon, une ville dans laquelle il a vécu jusqu’à l’obtention de

son baccalauréat. Puis il a fait des études de biochimie à Marseille. Mais, ne s’y

sentant pas à sa place, il a bifurqué, non sans mal, au sein d’un cursus dédié aux

lettres et au cinéma à Aix-en-Provence. A l’époque, il faisait déjà de la photographie

et avait même créé le un club photo sur son campus. De pellicule en appareil, il s’est retrouvé assistant réalisateur à Paris. Parallèlement, il a fait carrière dans l’administration, et plus précisément au sein de l’Éducation Nationale, gravissant les

échelons de CPE à directeur d’établissement. C’est son côté pragmatique. Sa vocation de départ avait toujours été photographe mais l’École d’Arles lui était inaccessible, étant issu d’une famille modeste qui, bien que lui ayant donné une éducation musicale, n’évoluait pas dans un milieu artistique. C’est donc en complet autodidacte qu’il a appréhendé la photographie, passionné depuis toujours par le cinéma et l’esthétique visuelle. Puis il a fait des rencontres décisives, dans une municipalité par exemple, avec un photographe professionnel qui lui a transmis ses connaissances en photo argentique. Ainsi, Philippe Yvon a pu mettre en place son propre labo dans lequel il développe les clichés de ses amis musiciens, jazzmen plus particulièrement. Il fréquente alors assidûment les clubs de la capitale, les cabarets,

se consacrant ainsi à valoriser les arts vivants en noir et blanc. Attiré aussi par l’écriture, curieux de l’Art en général, il scénarise une bande-dessinée consacrée au jazz éditée chez Casterman, et écrit un polar dont l’action se déroule

dans le Var. Ces activités entremêlées serpentent de projet en projet donnant lieu à une lecture spécifique de son environnement.

 

Sa pratique de la photographie a commencé dans un déclic, lors d’un stage d’animation, puis s’est muée en fil rouge,

d’abord avec un appareil Pratikca puis un Canon AE1 d’occasion. Il s’est approprié ces obstacles financiers en utilisant les limites et les défauts de ses appareils, les transformant en identité graphique : beaucoup de grain, beaucoup de contrastes, surexposition, dégradation…

Ce sont justement les dégradations du paysage urbain qui constituent le fondementde son travail depuis quelques années. Des années qui ont été difficiles d’un point de vue personnel. Certaines épreuves particulièrement douloureuses l’ont littéralement déchiré. Cette déchirure ressentie, Philippe Yvon l’a retrouvée, par hasard, lors de ses

pérégrinations dans Paris, au détour d’une rue, sur un banc, un mur, une gouttière…

Son sens aiguisé de l’observation lui permet de repérer de potentiels sujets sur son parcours. Jamais sans son téléphone, il cadre ces affiches déchirées selon différents angles jusqu’à ce qu’apparaisse quelque chose qui lui parle, qui fasse écho et sens. Il a trouvé ainsi un moyen photographique d’exprimer un sentiment personnel fort et de transmettre un message autour de la notion centrale de résilience : « de moi qui suis brisé, je peux faire quelque chose ». A l’image du Kintsugi, cet art japonais ancestral qui consiste à réparer un objet cassé en soulignant ses fissures avec de l’or. Philippe

Yvon a fait le choix d’intégrer ses déchirures dans son être en les assimilant en tant qu’énergie ; une énergie qu’il peut utiliser pour en faire autre chose, de l’art en l’occurrence.

Lors de ses déplacements, l’artiste n’a pas d’intention de départ. Il est interpellé par des choses parfois très subtiles. Il focalise sur le graphisme des déchirures, leurs couleurs, ce qu’elles donnent à voir, ce qu’elles dissimulent, comme des chiffres ou des mots qui aident à la compréhension de l’image, tels des morceaux d’humanité. Et c’est bien en mettant des mots sur ces blessures qu’il transcende les siennes et témoigne des traces qu’on laisse tous derrière nous.

Une fois le cadre choisi et la photo prise, les images sont nettoyées et retouchées via des applications gratuites utilisées pour mettre l’accent sur les mouvements, les couleurs, les noirs… Philippe Yvon fait émerger la beauté en empruntant un chemin toujours différent. Selon le sujet dont il s’empare, il cherche la meilleure voie pour le faire apparaître, jusqu’à ce qu’il trouve un sens, comme une évidence. Il dialogue avec les images, met en valeur la beauté et l’énergie selon ses émotions. Il s’agit d’un travail sensitif dont la direction est fixée par la photo de départ. Et la matière première est infinie. C’est cette profusion de possibilités qui a donné lieu au titre de la série, « Folie Urbaine », car oui, c’est fou d’avoir autant de matériau à disposition !

Sur chaque œuvre, on peut percevoir tout le chemin de la résilience : de la déchirure à la beauté en une image. C’est d’une grande richesse, comme chacun d’entre nous. Nous sommes tous riches de cette beauté malgré les accidents de la vie. Tel est le message transmis par l’artiste qui aime à rappeler ces principes essentiels :

 

« On ne peut pas être seulement la somme de nos blessures. L’Art, c’est ce qu’il nous reste quand on n’a plus rien ».

 

Des principes qui s’appliquent partout et à tous. C’est pourquoi les œuvres produites par l’artiste ne sont pas localisées. Il ne souhaite pas que l’on puisse identifier ni le lieu, ni le support afin de ne pas parasiter la lecture de l’image. Rester concentré sur ce que le cadre met en avant sans aucune connotation permet en effet de laisser place à l’émotion, qui est bien son axe de travail principal. Philippe Yvon nous amène à porter un regard différent sur ces lambeaux de l’âme urbaine.

 

« On peut découvrir en soi, et autour de soi, les moyens qui permettent de revenir à la vie et

d'aller de l'avant tout en gardant la mémoire de sa blessure. »

Boris Cyrulnik